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Le SPVM admet avoir surveillé un autre journaliste

Phillipe Couillard s’attend à ce que de nouvelles révélations émergent pendant les travaux de la commission d’enquête sur l’espionnage de journalistes par la police annoncée hier par son gouvernement. Et le SPVM en a offert un échantillon en admettant avoir espionné un autre journaliste en décembre 2014.

La commission sera lancée « assez rapidement » et ne sera pas un « processus sans fin », affirme le premier ministre. Elle étudiera également la relation entre les « corps policiers et les journalistes ».

Le premier ministre Philippe Couillard avait annoncé la formation d’un groupe d’experts, mardi, dans la foulée de l’affaire Patrick Lagacé. Les pouvoirs de ce panel seront élargis afin d’être identiques à ceux d’une commission d’enquête, ont confirmé les ministres Stéphanie Vallée (Justice) et Martin Coiteux (Sécurité publique), hier.

Cette décision survient 24 heures après que la Sûreté du Québec eut révélé qu’elle a aussi procédé à la surveillance électronique de six journalistes. Dans ce contexte, il était « absolument nécessaire » pour Philippe Couillard de s’exprimer « très fortement » sur la défense des droits et libertés et sur l’« enjeu majeur » de la protection des sources journalistiques, en lançant une commission d’enquête.

À 16 h 45, hier, la police de Montréal venait ajouter de l’eau au moulin en révélant avoir placé le téléphone d’un journaliste toujours non-identifié sous surveillance, grâce à un mandat permettant d’obtenir la liste de l’ensemble de ses interlocuteurs.

« Cette enquête ne concerne pas le journaliste, elle concerne un policier. »

— Patrick Lalonde, directeur adjoint du SPVM

Il a précisé ne pas lui-même connaître le nom du journaliste visé, tout en étant capable d’exclure trois identités précises.

M. Lalonde a ajouté que le dossier d’enquête du SPVM concernant le policier se trouvait à présent sur le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui doit choisir de déposer ou non des accusations. « Donc on ne peut pas le commenter, on ne peut pas à ce stade-ci faire aucune demande » afin d’avertir le journaliste en question, a dit M. Lalonde.

Recommandations

« Cette commission, elle est là pour quoi ? Elle est là pour faire la lumière, mais elle est là également pour nous donner des recommandations. Est-ce qu’il faut probablement aller de façon législative ? Est-ce qu’il faut ajouter d’autres gestes que ceux qu’on a mentionnés ? Je pense que c’était essentiel de faire ça », a affirmé Philippe Couillard, de passage à Longueuil pour appuyer le candidat libéral aux élections partielles.

Selon le premier ministre, la commission pourrait lever le voile sur d’autres cas problématiques. « Il faut s’attendre d’ailleurs, à ce que peut-être, on apprenne d’autres choses au cours de cette commission d’enquête », a-t-il déclaré.

Le comité sera présidé par un juge et des représentants des corps de police et des médias y participeront. Les commissaires auront le pouvoir de contraindre des personnes à témoigner. Les audiences seront « certainement largement publiques », même si les commissaires auront le dernier mot, a précisé Philippe Couillard.

Le mandat précis de la commission d’enquête sera défini au cours des prochains jours en consultation avec les partis de l’opposition, puisqu’il s’agit d’un enjeu « non partisan », a indiqué Philippe Couillard. 

« [Le mandat] sera suffisamment large pour permettre de faire la lumière, mais il faut quand même se concentrer sur l’enjeu principal : la protection des sources journalistiques et la liberté de la presse. »

— Stéphanie Vallée, ministre de la Justice

Toutefois, le mandat de la commission pourrait aussi être « élargi un peu sur toute cette question de la relation entre les corps policiers et les journalistes », a spécifié le premier ministre.

Déjà, les consultations pour la mise en place de la commission sont bien « avancées ». « On va circonscrire le mandat pour que les travaux aient une fin. […] On ne veut pas nécessairement que ce soit très long. Je pense que les gens ont besoin de réponses. On va prendre le temps qu’il faut pour avoir un exercice de qualité », a expliqué Philippe Couillard.

Le groupe d’experts avait à l’origine la tâche d’identifier les meilleures pratiques en la matière et de proposer de nouvelles mesures d’encadrement législatif ou réglementaire. Son rapport devait être rendu au printemps 2017.

Couillard prêt à repenser la nomination des chefs de police

Le premier ministre Philippe Couillard s’est montré ouvert à réviser la manière dont les chefs de police sont nommés, lors d’un débat avec le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault. Ce dernier souhaite que le grand patron de la SQ et celui de l’UPAC soient nommés par un vote des deux tiers de l’Assemblée nationale. « Je pense qu’il faut avoir une réflexion sur cette question, a déclaré M. Couillard. On va l’avoir, on va l’avoir, cette réflexion-là. Moi, je suis ouvert à ce qu’on agisse dans cette direction-là, mais qu’on agisse après avoir réfléchi. » En conférence de presse hier soir, le premier ministre était encore plus nuancé sur cette question, rappelant qu’il fallait « être très prudent » pour ne pas « créer un précédent au Québec ».

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Des années d’appels passées au crible

Les six journalistes surveillés dans le cadre d’une enquête de la SQ déclenchée après une plainte de Michel Arsenault ont vu des mois, voire des années de leurs appels passés au crible. L’ex-animateur d’Enquête, Alain Gravel, a affirmé hier en ondes que le corps de police avait obtenu ses relevés téléphoniques pour cinq ans, de 2008 à 2013. Cinq ans aussi pour ses collègues Isabelle Richer et Marie-Maude Denis. Quatre ans et demi pour le conjoint de cette dernière, Éric Thibault du Journal de Montréal. La SQ a aussi admis avoir obtenu six mois de relevés téléphoniques du chef de bureau de La Presse à Québec, Denis Lessard, soit de novembre 2008 à mai 2009. Pour André Cédilot, ce sont 15 mois. Il était à l’époque journaliste à La Presse.

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Des journalistes dégoûtés

« Le cœur me lève », a dit M. Gravel, sur les ondes de Radio-Canada. « La police avait le nez dans nos numéros de téléphone. » Il a souligné que les enquêteurs de la Sûreté du Québec couvraient ainsi la totalité des relevés téléphoniques de l’époque des révélations en série qui ont mené au déclenchement de la commission Charbonneau. « Je suis frustré, catastrophé par tout ça, a affirmé André Cédilot en entrevue téléphonique. Honnêtement, je me sens comme une personne qui a été cambriolée, quand ils virent les tiroirs à l’envers. C’est comme si ton intimité avait été violée. Je me sens comme ça. »

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Christian Leblanc représentera les médias

L’avocat Christian Leblanc a été choisi hier à l’unanimité par une douzaine de chefs des principales salles de nouvelles du Québec pour siéger à la commission d’enquête mandatée pour se pencher sur la surveillance policière des sources journalistiques. Christian Leblanc s’est démarqué notamment dans sa pratique sur le droit des médias, des communications et de la diffamation. « J’ai été impliqué dans certaines causes mettant en jeu la liberté d’expression en Cour suprême, et c’est aussi une part importante de ma pratique depuis plus de 20 ans. C’est certain que je sais ce dont on parle en ce moment, et que ce sont des sujets sur lesquels je suis sensibilisé et que, personnellement, je trouve de la plus haute importance », a souligné M. Leblanc en entrevue, hier.

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Le BIG impliqué

Lors d’une entrevue avec La Presse hier, le maire de Montréal Denis Coderre a indiqué qu’une fois la vérification du SPVM terminée, il confierait un mandat spécial à l’inspecteur général de la Ville, Me Denis Gallant, afin qu’il mène une enquête sur les journalistes surveillés par le SPVM. Le chef Pichet sera par ailleurs entendu devant la Commission de la sécurité publique, un comité d’élus montréalais qui siège à huis clos. Cette controverse pourrait-elle coûter l’emploi du chef de police ? « Je ne le sais pas. Jusqu’à preuve du contraire, je lui fais confiance. Il faut être factuel. De dire : on le lynche parce qu’il y a de la grogne et ça paraît mal, je ne peux pas travailler comme ça », a dit le maire.

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Espionnage en 2014 : Marc Parent dit tout ignorer

Le SPVM a entraîné bien malgré lui l’ex-chef Marc Parent sous les projecteurs, hier, en révélant avoir identifié une nouvelle opération de surveillance contre un journaliste effectuée en décembre 2014. À l’époque, c’est M. Parent qui était à la tête du service. « Honnêtement, ça ne me dit absolument rien », a affirmé Marc Parent, joint hier soir. Il a vanté ses « très bonnes relations » avec les médias. « Je n’ai à aucun moment autorisé une opération pour traquer un journaliste ou obtenir des informations sur leurs communications. Cet événement-là, ça ne me dit absolument rien. […] Je ne sais pas où la décision s’est prise… » Mardi, il avait tenu le même discours en entrevue avec La Presse.

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Le PQ change de critique à la sécurité publique

Le député péquiste Stéphane Bergeron s’est retiré de son rôle de critique en matière de sécurité publique, hier. M. Bergeron était ministre de la Sécurité publique lorsque la SQ a lancé en 2013 une enquête interne qui a mené à l’espionnage de six journalistes. M. Bergeron craignait de devenir une « distraction ». Il assure n’avoir jamais ordonné que des journalistes soient épiés par la SQ et qu’il ignorait que les enquêteurs utilisaient cette pratique. « J’ai toujours salué le travail des journalistes d’enquête, j’ai souvent fait du pouce sur le travail des journalistes d’enquête à l’Assemblée nationale, a déclaré M. Bergeron. Et je dois vous dire que ce qui me mortifie aujourd’hui, c’est qu’on ait pu laisser entendre que j’avais quoi que ce soit à voir avec le fait qu’on ait épluché les registres d’appel des journalistes. » Le député Pascal Bérubé le remplacera dans ses fonctions.

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